Abattoir : endroit où l’on autorise ce que l’on réprime ailleurs

Comme par magie, les quatre murs d’un bâtiment appelé « abattoir » rendent légal et moral ce qui est ailleurs illégal et considéré comme barbare. Si quelqu’un, dans son jardin ou dans un endroit public, étourdit une vache, l’égorge et la dépèce, il provoquera l’indignation et sera sûrement condamné pour cruauté ou trouble à l’ordre public. Mais au fond, il ne sera condamné que parce que cette action a été réalisée dans un cadre non autorisé, contrairement à un abattoir, car un abattoir c’est un endroit qui autorise la violence et le meurtre. Celui qui est violent dans un abattoir est couvert, comme par magie, par ce terme, « abattoir ». Ici, il a le droit de violenter et tuer un animal alors que sur la voie publique, la même personne et le même acte seraient considérés comme « barbares ». C’est pourquoi je considère l’abattoir comme un espace magique car il transforme, comme par enchantement, un acte violent et meurtrier en une « nécessité », une « culture », une « normalité ». Mais l’abattoir, au fond, ne modifie pas l’acte (violenter et tuer sont des faits objectifs, l’animal souffre et meurt dans tous les cas) mais il modifie notre perception de l’acte : ce qui nous indignerait sur la voie publique nous paraît normal dans un abattoir. L’abattoir est un espace de légalisation et de normalisation de la violence et du meurtre.

Que dirions-nous d’une société qui s’indignerait de la violence envers les enfants seulement dans les cas où elle serait publique ? Pire, que dirions-nous si la violence publique envers les enfants était prohibée mais qu’elle serait organisée institutionnellement et pratiquement localisée (« la violence envers les enfants est autorisée dans un espace spécialement dédié »). De même, la violence envers les animaux est autorisée seulement dans des espaces dédiés. Mais quoi, dans ces espaces les animaux auraient-ils moins mal et auraient-ils moins le souci de leur vie en se disant : « Eh, là, au moins, c’est légal, donc je ne dois pas avoir mal et je ne dois pas vouloir vivre ! » ?! Nos lois et nos normes ne rassurent et ne justifient quelque chose qu’à nos yeux, pour les animaux elles n’ont aucun sens et elles ne sont d’aucune consolation. La violence ou le meurtre, légaux ou pas, dans des espaces dédiés ou pas, ne restent pas moins graves et réels. Arrêtons donc de donner plus d’importance à notre perception que nous ne donnons à la réalité et la réalité est cruelle avec les animaux que nous avons le « droit » de tuer (droit que nous nous sommes donné, nous sommes juge ET partie, n’est-ce pas un des critères d’une société totalitaire et d’un comportement arbitraire ?). Ce n’est pas parce que nous cachons l’injustice et le meurtre, ce n’est pas parce que nous leur dédions des espaces que nous sommes moins responsables de leur existence. Fermer les yeux ne fait pas disparaître la réalité, tout au contraire, cela la perpétue.

De l’utilisation des cadavres d’animaux dans les manifestations

Depuis quelques années fleurissent (à ma connaissance, en Espagne et en France) les manifestations qui consistent à tenir dans les bras des animaux morts pour dénoncer le système qui les tue. Je vois à cela plusieurs objections.

1. On peut se demander dans quelles conditions les animaux sont récupérés et si leurs dépouilles ne risquent pas de transmettre une quelconque maladie soit aux passants soit aux militants eux-mêmes.

2. Où finissent ces animaux après la manifestation ?

3. D’un point de vue symbolique maintenant, est-ce acceptable et pertinent de se servir de leurs corps morts pour promouvoir leurs droits ? Le but (affiché ou caché) c’est d’en finir avec le système spéciste qui traite les animaux comme des objets à notre disposition et qui ne respecte ni leur dignité, ni leurs désirs, ni leur liberté, ni leur vie. Ce système est basé sur une distinction entre les humains et les autres animaux, une différence de traitement qui fait qu’on accepte pour les uns ce qu’on n’accepterait pas pour les autres. Les manifestants qui portent dans leurs bras les corps d’animaux morts veulent, en principe, l’égalité de traitement parce qu’ils considèrent que les animaux nonhumains devraient avoir les mêmes droits et la même dignité que les animaux humains. Or, et c’est là le problème, en agissant ainsi les militants ont eux-mêmes un traitement différencié. En effet, il ne viendrait à l’esprit d’aucun militant pour les droits des enfants de ramasser des corps d’enfants morts et de les exposer sur la place publique pour attirer l’attention des passants et les sensibiliser. Mais apparemment il n’y a pas de problème à le faire avec les animaux. Est-ce parce qu’on n’a pas le même respect et parce que, ne serait qu’inconsciemment, on ne les considère pas vraiment comme nos égaux à tel point que l’on puisse, par dignité, respecter même leur cadavre et ne pas nous en servir, fût-ce pour un but affiché comme noble ? Si nous voulons que les animaux nonhumains soient respectés au même titre que les animaux humains nous devons, sur des sujets fondamentaux, leur appliquer le même traitement. Car, honnêtement, que répondrait un militant si on lui demandait « Trouveriez-vous normal de faire cela avec un enfant ? » ou bien « Pourquoi est-ce acceptable de le faire avec un lapin mais pas avec un humain ? » ? Je crois qu’il serait bien contrarié et qu’il n’oserait pas aller au bout de sa logique.

Les animaux nonhumains méritent qu’on respecte leur cadavre, même si pour nous, inconsciemment ou pas, ils ne sont pas supposés avoir une interprétation symbolique de la mort. Nous devons faire comme s’ils en avaient, nous devons les traiter en égaux.